Hubert HENIN,
Résistant 40/45

Invasion, Exode, installation dans la guerre


Page précédente

 

10 Mai 1940: Déclenchement de l'Invasion Allemande

Lorsque l'invasion allemande démarre le 10 mai, les habitants de la région sont réveillés vers 4h30 par le bombardement de Jemelle; l'Armée Allemande veut en effet isoler le sud de l'Ardenne, à travers laquelle elle a prévu de porter le coup décisif à l'Armée Française: elle va en effet forcer le passage grâce à son fer de lance blindé qui va enfoncer le "Front" français à Sedan!. Les "Etudes Stratégiques" françaises avaient en effet décrété que "les Ardennes n'étaient pas traversables par des formations motorisées et blindées".

« Le principe de l'inviolabilité des Ardennes a ôté aux états-majors français toute ouverture d'esprit et toute faculté d'adaptation à la manoeuvre de l'ennemi. Les panzers de la Wehrmacht devaient passer par la plaine belge, donc ils ne pouvaient pas se trouver dans les Ardennes. Cette rigidité intellectuelle va malheureusement coûter à la France quatre des années les plus sombres de son histoire . »
("La bataille de France au jour le jour", Dominique LORMIER)

« À l'ouest de Montmédy, il y a les forêts des Ardennes. Elles sont impénétrables si on y fait des aménagements spéciaux… Si l'ennemi s'y engage, on le pincera à la sortie des forêts. Donc ce secteur n'est pas dangereux »
(Maréchal Pétain, discours devant la commission de l'armée au Sénat, 7 mars 1934.)

Inquiétudes

Le 9 mai, Hubert avait rencontré son oncle Emile à l'hôtel du Limbourg, un établissement de la Place Roi Albert de Rochefort. Ce dernier, marié à une française, résidait habituellement à Amiens. Devant les conseils que Hubert sollicitait de lui, il lui dit de ne pas bouger ce jour là, que lui, en attendant les événements, "allait prendre ses quartiers" à Rochefort, mais de quand même faire des préparatifs par précaution, pour, le cas échéant, une évacuation rapide vers la France. Tout le monde se souvenait bien sûr des nombreux massacres allemands du mois d'aoüt 1914!

L'EXODE

Le 10, il prépara sa voiture pour sa mère et ses soeurs, et plusieurs chariots furent prêts à être attelés pour transporter un maximum d'impédimentas!

Il avait vu passer des auto-blindées françaises du 1 RAM/1 DLM , lancées à la rencontre des forces allemandes d'invasion, jusque vers Houffalize. Quand, le 11, à Rochefort, il en vit repasser certaines en très mauvais état, sa décision fut rapidement prise. En effet, les patrouilles françaises arrivèrent au moment de la destruction des ponts de cette localité, par les Chasseurs Ardennais du Major Cremer. Les auto-mitrailleuses durent faire demi-tour, la baïonnette dans les reins, en couvrant une rapide retraite vers Haversin (où une bataille anti-char fut menée avec beaucoup de pertes des deux côtés.)

"Le 11, combats indécis à Marche, entre autos-mitrailleuses françaises et allemandes". (Récit du Général DOUMENE)


C'est ici que se situe l'action dans laquelle Rodolphe RENSON, habitant le "Coin de Rue" (au carrefour de la rue des Savoyards avec la rue du Commerce, à Marche), perdra la vie, en même temps que fut blessé Mr Diepart : pour protéger leur retrait vers Humain et Haversin et ralentir d'éventuels poursuivants, les soldats français avaient établis un barrage de trois automitrailleuses au haut de la rue Victor Libert -la Nationale 4 d'alors, le contournement n'existant pas encore...- (voir "Marche-en-Famenne … Aux jours périlleux de 1940-1945" par l'Abbé Guillaume ) entre le collège Saint-François et la maison Capelle (actuelle maison Conotte). Des motocyclistes du 5 RDP descendaient prudement la rue pour reconnaître le centre, quand un blindé allemand déboucha dans la grand-rue. Dans l'échange de coups de feu (une automitrailleuse du barrage fut détruite et incendiée, deux des membres de l'équipage furent inhumés derrière le calvaire de Notre-Dame de Grâces, avec un des motards, le Dragon Humbert Nespolo, originaire de Chambéry, du 5ème Rgt de Dragons Portés).
Les civils belges, imprudemment sortis sur leurs seuils, tombèrent victimes de l'échange de tir des unités ennemies... On doit à la vérité de conclure qu'ils furent probablement victimes des balles françaises... On cite Rodolphe Renson et le pharmacien Toussaint Diépart, mais on oublie souvent deux autres dames prises dans le champ de tir de la rue Victor Libert, Julia Schoonheyt et Marie Mathieu ...

Cliquez pour agrandir
(Images © KIK-IRPA Bruxelles)

Hubert partit immédiatement vers Wèves et Charneux, d'où ses beaux-parents avaient déjà évacué! Ensuite, retour à Marloie, où il embarqua toute la famille: sa mère Léopoldine, 4 de ses 6 soeurs et ses deux frères, plus des enfants. (Lucienne était religieuse au Carmel de Marche.)

"11 mai 1940, aîné de la famille et seul homme, j’amène toute la parenté chez moi à Rochefort : ma Mère, Mme Dachelet et ses quatre enfants, Anne-Joseph, Elisabeth et Jeanne. Joseph est déjà parti. Pierre vient de rentrer à pied d’Argenteuil. Il vint avec nous. Aussitôt arrivés à Rochefort, je l’expédie rejoindre les moins de 20 ans à Bray.
Départ de Rochefort pour l’évacuation; responsabilités et soins : 1 voiture, 3 chariots, 1 tombereau. Nombre de personnes : 4 hommes, 8 femmes, 16 enfants dont 7 n’ont pas trois ans. Bombardés en route, nous perdons le tombereau, 1 chariot, des chevaux, etc. Au retour, ayant devancé les chariots restants et retrouvé un chariot abandonné, je suis pris par les allemands comme voleur et déserteur, conduit à Silenrieux et battu comme plâtre.
Rentré à Rochefort le 23 mai "

En passant à Humain devant le château (devenu QG de la Cavalerie française, et où ma mère me dit que les caves avaient manifestement été pillées, au vu des soldats ivres écroulés près du perron...), il mit le cap sur Rochefort, pour prendre sa propre famille. Il habitait en effet route de Ciney. De là, par Ciergnon et Houyet, ils mirent le cap sur le pont de Givet, et la "maison Collet", mais, le pont ayant été détruit et la ville évacuée, ils vont vers Hastière où ils traversèrent la Meuse. Après avoir déchargé la première partie de la famille à Furnaux, il repart à la rencontre des autres évacués qu'il retrouve à hauteur de Ciergnon.

"Je charge mon oncle Emile, maman, Elisabeth, Jeanne et Anne-Joseph dans la voiture, et je les conduis à Furnaux chez Rome près des autres: ils sont sauvés donc, à l'autre côté de la Meuse. Je repars seul à la rencontre des chariots qui passent la Meuse à Hastière le dimanche à 4 heures après-midi. Je fais loger les commis et les chevaux entre Anthée et Biesmes, puis je rentre à Furnaux à 11 heures du soir où je dors 4 heures car je suis à bout, et je repars le lundi 12 à 4 heures du matin..."

 

BOMBARDEMENT à St Gérard

Ayant été abrités pour la nuit à Furnaux, près de St Gérard, dans une ferme appartenant à un cousin Rome-Streel (la maman de Marie QUINET, l'épouse de Hubert, était une Streel) , ils se retrouvèrent au matin dans un raid de l'aviation allemande qui attaquait des colonnes motorisées françaises. Celles-ci mirent leurs pièces anti-aériennes en batterie et se défendirent; bientôt un avion aux croix noires s'abattait dans la campagne. Tout le monde vit alors un parachute tomber vers les réfugiés. Quelque peu groggy, l'aviateur fut amené par des civils (entre autres, Marcel Laurent de Rochefort, et son frère) vers la route, et livré à des militaires belges accompagnant des CRAB (jeunes mobilisés mais non encore enrôlés). Manifestement, les belges ne savaient qu'en faire... A ce moment, un officier français arriva dans un side-car. Il interrogea brièvement le prisonnier puis, froidement, l'assomma d'un coup de marteau; ensuite, il l'acheva à terre d'un coup de pistolet! La "Parachutite" faisait là une nouvelle victime! On ne sait trop si l'Armée Française avait donné l'ordre d'exécution immédiate de tout parachutiste capturé, ou, plus froidement, était-ce une conséquence (vengeance?) de la sauvagerie du terrible bombardement qui venait de faire plus de victimes civiles que de militaires?

DISPARITION de l'Oncle Emile

Peu avant leur départ de Rochefort, le groupe familial avait été retrouvé par l'oncle Emile HENIN, revenu d'Amiens pour aider à l'évacuation. Pour mémoire, il faut noter qu'à la Douane Française de Jeumont, il avait été contraint de déposer l'importante somme d'argent dont il s'était nanti pour subvenir aux besoins de la famille sur le territoire français: le contrôle des changes était toujours d'application! le 13 mai au matin, à la ferme ROME-STREEL (Furnaux), où le départ allait être donné, il décida de partir en éclaireur jusqu'à la frontière (peut être aussi pour essayer de rentrer en possession de l'argent séquestré?) en profitant d'un camion français qui repartait vers l'arrière. Ce fut la dernière fois que la famille le voyait, car peu après, il disparaissait, sans doute dans un des nombreux bombardements que les Stukas effectuèrent ce jour là!

Le 13 février 1947, un jugement du tribunal d'Amiens statuait qu'Emile Henin, né à Heure le 14 mars 1871, était décédé à Furnaux en Belgique le 13 mai 1940 (archives de la Commune de Somme-Leuze)

Les enfants d'Emile se sont établis en France: Pierre a épousé Madeleine Christofari, une Corse fonctionnaire sur le Continent , et ses enfants se sont installés pour les uns, à Marseille, pour d'autres, aux Comores et (les Battesti) en Corse (pas loin de Solenzarra!). Julie, restée demoiselle, était responsable d'un home à Paris, Impasse Baudricourt

Emile HENIN

 

RENTREE à ROCHEFORT

« Rentrée à Rochefort le 23 mai; à partir de cette date et pendant 15 jours au moins, les convois de prisonniers belges, français et anglais passent devant chez moi à Rochefort.
Ma maison s’y prêtant bien et avec l’aide du Notaire Martin de Rochefort, nous parvenons à sauver 224 prisonniers des mains des allemands. Je les nourris avec les abats des bêtes que je tue et distribue gratuitement pour la population de Rochefort. Ces bêtes étaient abandonnées et devaient être saisies par les troupes allemandes. Nous avons dû habiller et loger ces prisonniers dans des fermes évacuées."

RECHERCHES en FRANCE

« Le 1er août sur l’ordre du Notaire Martin, j’arrange mon départ pour le midi de la France devant retrouver M. Bovesse, gouverneur de la province de Namur. Je pars le 4 août, porteur de 417 lettres et accompagné de Adrien Slegers de Tellin. Pour tout papier, nous avons deux faux permis de circulation : l’un en français, l’autre en allemand avec le cachet allemand fabriqué par Slegers. Quand les allemands nous demandent nos papiers, nous montrons ceux écrits en français; quand ce sont les français, nous montrons les documents allemands. Je rencontre Bovesse à Sètes dans l’Hérault, le 10 août. Nous restons 3 heures ensemble, il me remet un mot et me conseille de retourner avec le plus de soldats possible (voir l'histoire d'un autre CRAB) car ils vont être tous prisonniers. J’en ramène 29 pour lesquels nous fabriquons des faux passeports (ordre de rapatriement de la commune de Tellin) et nous rentrons tous sains et saufs le 14 août à 1 heure du matin.

La lettre que je rapportai de M. Bovesse annonçait sa prochaine rentrée ainsi que les ordres de résistance (formation et journaux clandestins). Chacun de son côté devait former de petits noyaux. C’est ainsi que je me suis mis en contact avec Camille Sauvenière de Haversin, qui enrôla Léon Lambert de la brasserie de Haecht à Marche.
Depuis cette date et jusqu’en avril, je partais 1 fois par semaine jusque dans la région de Nogent sur Seine, soit-disant pour reconduire des chevaux d’évacuation mais toujours accompagné de prisonniers que nous avions fait évader"
.

L'oncle Pierre, jeune frère de Hubert (il avait tout juste 16 ans lors de l'invasion), avait du rejoindre les CRAB (Centre de Recrutement de l'Armée Belge), pour constituer une réserve de recrutement; leur détachement, parti de Namur, évacua jusque dans le département de l'Hérault, près de Montpellier. Après la déconfiture et la capitulation françaises de Juin 40, l'Armée Belge (voir CRAB), par faute de moyens, dut elle aussi démobiliser: les jeunes, abandonnés à eux-mêmes, durent alors trouver des emplois pour pourvoir à leur survie. Pierre trouva donc du travail dans une ferme, mais tomba rapidement malade. Les autres CRAB furent rapatriés, tandis qu'il était soigné sur place; l'inquiétude gagna alors la famille rentrée au pays. Hubert prit donc sur lui de repartir en France pour retrouver son cadet, mais aussi l'oncle Emile.
Pour le premier, les retrouvailles se firent à Viols-le-Fort, dans le département de l'Hérault, à une vingtaine de kilometres au nord-ouest de Montpellier. Comme il avait été recueilli et soigné à Bassan (pas loin de Béziers) par la famille Trainquier (pour laquelle il a toujours exprimé sa reconnaissance pour leur attitude envers les jeunes belges), l'oncle, après la guerre, faisait volontiers le trajet vers le midi pour aller les saluer!. Pour l'oncle Emile, ce fut une toute autre histoire, à l'issue beaucoup moins heureuse...

Pour mention, la saga familiale fait allusion à une rencontre faite au cours de ces recherches: ils seraient en effet tombés nez-à-nez avec Julien LAHAUT, parti pour ramener les ouvriers spécialistes évacués de Cockerill et de la FN, et les inciter à venir relancer l'outil "pour donner du travail aux ouvriers" (au profit de qui?...). Pour mémoire, il est à noter que l'un des ouvriers des établissements Sleggers était... André Moyen, né à Resteigne! Qui refera surface dans la Résistance sous le pseudo de "Capitaine Freddy"...

 

Page suivante: DEBUTS DANS LA RESISTANCE

Création de la page: 15 Juin 2001 DernièrSeptember 12, 2021e -->e -->e -->e --> Wallonia asbl
Tous droits réservés.
Remarques/Remarks : Charbin

hit counter website
hit counter website
Flag Counter